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Le problème de la malfaisance

Le problème de la malfaisance — En société, entre humains, la malfaisance, ou communément évoquée sous l’appellation de « mauvaise volonté », se remarque, mais ce titre reste insuffisant. La malfaisance, mal faire, nuire, incite à penser au faire étymologique des « poètes ». En grec, ποιεῖν, signifiait faire, mais produire et plus encore créer et donner naissance aux enfants, du point de vue des parents. | ποιέω — Wiktionary |  ποιέω — Bailly | Ainsi, l’éducation est un faire poétique, pour aller dans la continuité de ce faire l’amour, qui est poétique. La création du monde fait, en ce sens, de Dieu un poète. On imagine aussi le faire de l’artisan, travaillant une matière ou étudiant une disposition qu’il concrétise, chargé de la conscience poétique du métier, de l’ouvrage. Ces idées inspirent au poète l’élaboration de ses poèmes et la conduite de sa vie, non dénuée de lecture. Or, ne voit-on pas tant de poésie mal faite, et ainsi mal aimée ? On tient à nous culpabiliser, en évitant ce sujet et en nous renvoyant à notre lecture arbitraire : il faudrait s’astreindre à cultiver la poésie contemporaine à force de lectures pour la comprendre et « apprendre à aimer » ce qui n’en mérite pas la peine, car nous avons des choses à faire et d’autres idées pour ralentir la marche folle du monde. La conception de cette poésie est accaparante et encombre le temps et l’espace au point de ne pas laisser à des poètes plus valeureux la chance d’être lus et même d’apparaître, d’exister comme existe une éducation et les questions liée à la culture de l’art de la parole.

Cette malfaisance auprès de la poésie retentit sur les classes d’école et l’éducation professorale.

Aimer, créer, fabriquer : quel problème avec ces choses humaines ? Ce serait de ne pas les être. N’être pas Dieu, mais son fils ou sa fille. Cela induit une jalousie si la pensée n’est pas consciente de cette dimension de la possibilité véritable. Ne pas être créé par Dieu, relève de la croyance et de l’examen du problème. De même, n’être pas fabricant et artisan, car ce sont des tâches dites « manuelles », au mépris des « intellectuels » qui ont assez à faire pour sortir leur porte-monnaie, depuis qu’on les avait convaincus qu’ils étaient du génie national. Ne pas être aimé ou ne pas aimer ? A-t-on malgré cela fondé une famille, l’affaire devient scabreuse. L’inconscience, ou la préférence bourgeoise, la préférence de classe, qui conduit au mépris, dominerait alors la volonté au sujet de la poésie. Normalement, on n’a pas de temps utile à consacrer à ces élucubrations de « classes », on n’en a pas le temps du tout si on sait s’employer à être poète, ou seulement intelligent. On sait, d’expérience, souvent ce qui est « ne pas être aimé », la déception après un refus ferme, l’amour impossible d’une personne pour une autre. La déception aussi, de savoir son œuvre refusée, non-reçue, après de longues années de recherche. L’accumulation de ces refus et déceptions donne conscience de l’amour qui fuit, mais n’impliquent pas d’y renoncer, ni même de refuser de cultiver une relation en vue de devenir aimé et aimée. C’est pourquoi je ne comprends toujours pas comment la poésie en est arrivée où on l’a reléguée. Les sentiments trop humains et trop peu surhumains, telles que la jalousie envers le don cultivé des faiseurs de poèmes, et l’autorité excessive d’exercer un pouvoir reconnu, avec cruauté et possessivité, ces choses n’ont pas assez de sens pour livrer une explication satisfaisante. La démesure intériorisée d’un projet culturel et l’erreur circonspecte au sujet de la nature humaine fourniraient des compléments d’explication, mais ces choses, si non-dites, qui ne relèvent pourtant pas de l’évidence qui se respecte, ni de l’évidence qui ne dit pas son nom, ces erreurs, si on les tait, nuisent à leur « bonne » cause et reproduisent des caractères qui n’auront pas la vie des siècles, mais s’éteindront avec leurs porteurs, puis avec leurs successeurs, leurs suiveurs, comme leurs devanciers : de moins en moins convaincus et moins puissants. L’ennui, c’est de vouloir leur extinction avec la lenteur de mouvement d’une eau qui dort ; mais, bien menée sur soi et avec l’aide des livres des auteurs les plus volontaires et spirituels des siècles anciens ; avec la fréquentation assidue d’un être sincère, qu’il soit féminin, masculin, apte à éclairer la bonne disposition mentale qui lui serait attentive ; et, seul devant l’esprit de vérité du créateur de ce monde fou à lier, dans la retraite d’une chambre, d’un appartement ou d’un lieu retiré proche d’un toit ou d’une voûte, en l’appelant de ses vœux : il est loisible en quelques minutes, en plusieurs mois pour quelques années, de se faire à sa raison. On sacrifie alors infiniment moins de présence et d’esprit à l’évidence qui ne dit pas son nom et l’on épargne ainsi à d’autres de contester, douloureusement, de jour en jour, ces gens voués à l’idole et au tombeau de l’Évidence Inconnue, à laquelle ont perdu leur temps, leur âme et leur savoir-faire, tant et tant de poètes, d’élèves, de chercheurs.

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