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L’écologie humaine

Dans les métiers des livres, au rayon des débats et de la critique, de l’éthique des métiers et des livres, il y a une zone d’ombre, un angle qui paraît comme « mort », puisque les protagonistes ne l’abordent, pour ainsi dire, jamais. À part quelques philosophes mal lunés ou vaillamment plumés, quelques écrivains qui ont à peine le souffle, bien que lucides, de décharger leurs vérités, personne ne va plus loin, au vingt-et-unième siècle, que Arthur Rimbaud devant ce spectacle désolant. Or, nous ne sommes pas au dix-neuvième siècle et il est relativement inadéquat, indécent, de se prosterner devant le scandale et l’ordure, surtout si l’on détient un manuscrit dans son tiroir, ou que l’on vive plus ou moins mal du métier des livres. 


Cette génération d’éditeurs est la plus médiocre de l’histoire française.


La corruption et la médiocrité profitent de nos tempéraments enfantins. Si ces éditeurs étaient si savants et géniaux, ils ne feraient pas ce métier, pas autant. C’est su, mais pas assez dit : les livres nous cultivent. Les abus de confiance peuvent se prévaloir du devoir de méfiance, mais se raconter la vie de l’esprit de cette façon est une forme d’erreur qui pourrait valoir dans le domaine strictement personnel et privé des relations humaines, que n’est pas la poste distante et les bureaux de métiers qui tordent le paysage des publications. Si les générations antérieures de lecteurs et d’éditeurs n’ont pas produit une génération vertueuse, est-ce qu’elles étaient elles aussi médiocres, encore plus que ça ? C’est que, peut-être, d’autres malfaisances nuisaient ailleurs, dans l’éducation, dans l’autorité qui devait garantir la paix, dans l’inconnu de quasiment tous les emplacements de vie, dans des volontés puissantes qui voulaient blesser ou savoir en utilisant ou en manipulant les faiblesses psychologiques de corps intermédiaires eux aussi agissants et responsables, normalement. Normalement, qu’est-ce que la norme, ou qu’est-ce qui est normal ? Disons : peu de choses, mais de grande importance. Au chapitre des comportements humains, donc des corps et des attitudes, des réalités et des discours, leurs volontés, la norme est définissable au long cours pour ce qui est strictement individuel. En société, la norme se respecte et sinon nous remarquons tout de suite si elle n’est pas respectée. Oui, mais l’on ne crée pas des nouvelles normes, cela serait et est anormal. Ainsi, les codes qui tiennent pour des normes, comme l’obligation de frayer avec les éditeurs pour être publiés, ce n’est pas normal, c’est une excentricité et un caprice de genres qui se racontent le pouvoir qui repose sur la confiance en la qualité culturelle des livres publiés, car nous étions jeunes et pensions du bien, par nécessité sécurisante, pour ce qui nous entourait et nous accueillait dans ce monde que nous rêvions et voulions déjà meilleur. À cela aucun mal, nous avons là nature humaine.


Pour conclure ce bref embrayage vers une France meilleure, la planification culturelle et sa programmatique, les rôles colbertiens, mazaréins, transposés dans les métiers des livres, ne sont autres que les fins du monde et de siècles d’ennuyeux personnages qui gardent tout le meilleur pour eux et ont pour les gens trop peu de richesse personnelle. Dans les possibilités des livres publiés, de nos jours, livres vivants qui donneront ou donneraient à vivre aux livres anciens qui risquent l’asphyxie s’ils ne sont pas assez lus, pas assez suivis, pas assez rénovés, dans nos livres il y a beaucoup à enseigner et à donner, pour un prix peu coûteux, sauf si l’injuste domination de l’économie a dressé autour de nous des barrières méchantes, qui n’ont pas de la loi le droit, que certaines idées de la normalité prétendent, à tort, justifier. L’art de lire est littéraire et cela permet de lire la science et la philosophie, le savoir et l’art, tout discours. C’est pourquoi la victime de nos jours et depuis longtemps est la poésie, qui est un art de la langue écrite et un art dévoué à l’art de lire, avec bonheur. C’est là, en poésie, que la trahison et le mal ont perduré au grand jour, en pleine lumière et avec un luxe qui s’étale copieusement. La nature humaine bien gardée tient dans ses mains l’écologie humaine qui, pour être dite écologie, sert premièrement la nature humaine.


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